" Après le désir et l'infidélité, la sexologue Esther Perel s'intéresse au sexe masculin et par extension, au paradoxe de la masculinité. Entretien avec la thérapeute de couple la plus cotée aux USA.
Aux États-Unis, elle est une star. Sexologue et thérapeute de couple, «relationship & sex guru», comme la surnomme le Tout-New York, Esther Perel a son cabinet depuis une trentaine d’années. Elle y consulte toujours chaque semaine, malgré les invitations aux conférences, les ouvrages à promouvoir, les interventions en entreprises...
C'est ce qui lui permet de garder un pied dans le lit des gens, de capter les nouvelles interrogations, les envies en présence, les possibles blocages. La pensée de cette thérapeute belge de 61 ans est tout sauf normative ; ses discours sur la sexualité, désopilants et impitoyables, aussi.
Ceci expliquant cela, ses deux conférences TED (la première sur le désir, la seconde sur l’infidélité) cumulent presque vingt millions de vidéos vues sur YouTube. Son premier ouvrage, L'Intelligence érotique (éd. Pocket) a été un phénomène mondial traduit dans vingt-sept langues. Le second, Je t'aime...Je te trompe (éd. Robert Laffont), un best-seller aux États-Unis.
Jamais rassasiée, Esther Perel se passionne pour le futur de l’identité masculine, son nouveau sujet, un thème crucial, selon elle, pour qui veut penser - et transformer - les relations hommes-femmes. Au terme de «crise» de la masculinité, dernier concept à la mode, elle préfère celui de «transition».
À l’aube de l’année 2020, l’homme doit changer, oui. Mais à une condition sine qua non, selon elle : que la femme l’autorise, enfin, à le faire. Nous avons rencontré Esther lors d’un bref passage à Paris.
Donner aux hommes l'opportunité de changer
«Je pense effectivement que la vie des femmes ne changera pas fondamentalement tant que les hommes n’auront pas eu l’opportunité de changer eux aussi. Le monde est préoccupé par le pouvoir des hommes et ce qu'ils en font, mais en réalité ce n’est pas à leur pouvoir qu’il faut s’attaquer mais à leur peur de l’impuissance. Vous savez, le mot "loser" n’existe pas au féminin. Une femme n’a pas peur de dire "je ne suis pas femme". Elle n’a pas peur de perdre son identité, parce qu’elle a ses règles, parce qu'elle porte des enfants…
Mais un homme, il n’a que son pénis, et il vit sous le règne de celui-ci, dans la peur de ne plus être un homme si ce dernier ne fonctionne pas comme il le souhaite. Alors il fait tout ce qu'il peut pour se montrer puissant et viril par ailleurs. Cela passe par la négation de ses émotions, le développement d'un sens aigu des responsabilités et de l’honneur, le sacrifice de sa vie à être un héros...»
L'identité masculine et le tournant du CP
«Jusqu’à 5 ou 6 ans, un garçon n’est pas différent d’une fille. Il est connecté à sa vulnérabilité, il sait décoder son environnement affectif, il sait répondre de façon affective directe, il est en contact avec ses émotions et les émotions des autres. Et puis il se passe quelque chose entre 6 et 7 ans, au CP. Là, d'une manière tout à fait inconsciente, il se rend compte que ce n’est pas ce qu’on attend de lui.
Il commence à intégrer le code de la masculinité. Il comprend que pour être homme il faut être fort, ne pas montrer sa peur, surtout ne pas avoir peur, ne pas être vulnérable, il faut jouer même quand ça fait mal, il faut être autosuffisant. Je crois que cette fausse autonomie, cette peur de la dépendance, le met sur une trajectoire dans laquelle la construction de la masculinité s'établit sur le rejet du féminin.»
La présence du père
«Dans les années 1980, les hommes parlaient de l’absence du père. Aujourd’hui, ils parlent au contraire de la présence du père, de celui qu’ils veulent être. L'un des grands changements de la masculinité est la paternité. L'homme d'aujourd'hui n’est plus juste là pour être le disciplinaire ou pour ramener les sous à la maison. Il peut, lui aussi, être une entité affective. Les rôles sont redéfinis.
Et cela chamboule surtout la femme, qui a toujours cru qu’elle était le parent numéro un, l’expert numéro un, qu’elle n’avait pas de pouvoir public mais tout le pouvoir privé.
Aujourd’hui, cette même femme revendique le pouvoir public mais sans être toujours prête à renoncer au pouvoir privé.
Elle veut que son homme soit plus vulnérable, mais pas trop. Parce que si lui-même a peur de s’écrouler, si les larmes commencent à couler, elle aussi aura peur qu’il s’écroule. Et s'il s’écroule, elle se dira qu’il devient un enfant, et des enfants elle en a déjà !»
À la recherche de l'équité
Il y a beaucoup d'hommes qui seraient de meilleurs parents au foyer que leurs femmes
«On n’est pas égaux. On n’est pas les mêmes. Le but n’est pas qu’on le soit. Un exemple tout bête : il y a beaucoup plus d’hommes qui seraient de meilleurs parents au foyer que leurs femmes. Mais ces femmes sont-elles prêtes à dire : "Je le vois autant homme s’il reste à la maison" ?
C'est là l'hypocrisie des femmes. Aujourd'hui, elles acceptent tout à fait de dire qu'elle n'ont pas envie d'élever leurs enfants, que ce n'est pas là qu'elles brillent. Elles acceptent de se voir différemment, mais elles ne sont pas encore prêtes à LE voir différemment. Et lui non plus !
Le modèle patriarcal n'est pas mort, loin de là. Il y a même une certaine résurgence de ce modèle. Historiquement, chaque fois que les hommes voient leur vie devenir plus précaire, qu’ils ont moins de certitudes par rapport à leur rôle, qu’ils sentent que leur autorité et leur pouvoir sont menacés, bien souvent cela s’accompagne d'une montée de fascisme. Un système autoritaire dans lequel les hommes se retrouvent parce qu’on leur dit clairement ce qui est juste, ce qui n'est pas juste, ce qu’on a le droit ou pas le droit de faire. L’autoritarisme est toujours lié à une perte d’autorité des hommes. Avec des leaders qui émergent - des Erdogan, des Poutine, des Trump...
#MeToo et l'affrontement des générations
«Je crois que #MeToo a mis le doigt sur l’un des marchés d’échange les plus anciens qu’on ait jamais connu. Depuis toujours, les hommes ont eu accès à la jeunesse et à la sexualité de par leur pouvoir et leur fortune. Les femmes ont eu accès au pouvoir et au statut public de par leur jeunesse et leur sexualité. Chacun a puisé dans ses ressources pour négocier ce à quoi il n’aurait pas eu accès autrement.
C’est un double marché, un vieux marché. Mais #MeToo a dit : les femmes ne veulent plus de cet échange tel quel, elles ne veulent plus jouer avec les règles imposées par les hommes ou les femmes des générations précédentes. Et c’est là, je crois, que #MeToo parle plus d’un écart entre les femmes que d’un écart entre les hommes et femmes.
Ce que les femmes de mon âge ont accepté comme normal, comme le prix à payer, les femmes de 25 ans ne le laisseront plus jamais passer. #MeToo est moins une question de genre qu'une question de génération, et de comment les rapports de pouvoir sont négociés.
Sexualité compliquée
Il est rarissime d’entendre une femme dire : "Rien ne me fait plus plaisir que de le voir lui prendre du plaisir."
«Lors d’une émission australienne, une dame m’a demandé quoi faire avec son mari impuissant.
Mais tout était dans la question ! On sentait bien que toute l’industrie du couple était occupée à ce que ce pénis soit enfin obéissant et fasse ce qu’on attend de lui. Une minute, cet homme n’a-t-il pas des mains, n'a-t-il pas une peau, des cheveux, un sourire, des yeux ?! On fait l’amour avec mille choses. C’est quoi cette histoire ?
C’est le pénis qui décide, ou c’est l’être humain ? Voilà ce qui doit changer dans la sexualité masculine. Et aussi cette idée - fausse - que la sexualité féminine est psychologique, subjective, multidimensionnelle, contextuelle, en opposition à une sexualité masculine qui serait naturelle, automatique, avec un pénis toujours présent, toujours prêt, cherchant juste la prise.
La sexualité masculine est tout sauf simple. Elle est aussi très psychologique. Toute la société doit en prendre conscience et cesser de parler de sexe selon un modèle phallique, de pénétration, dans un acte sexuel qui se terminerait quand l'homme "termine" et s’endort. C’est beaucoup de choses la sexualité, pas seulement un acte.
Chez de nombreux couples, j'entends des hommes qui disent : "Rien ne me fait plus plaisir que de la voir elle dans son plaisir." Aujourd'hui, l'homme n’a plus envie du "service", il veut que sa partenaire soit bien présente, qu’elle prenne du plaisir.
En revanche, il est rarissime d’entendre une femme dire : "Rien ne me fait plus plaisir que de le voir lui prendre du plaisir." Elle s’en fiche complètement ! Ce qui l’excite, elle, c’est comment elle se sent vis-à-vis d’elle-même. Ce qui est intéressant, c'est que c'est totalement en contraste avec leurs rôles sociaux respectifs.
Autant dans son rôle social l'homme se doit d’être autosuffisant, autant dans le rapport sexuel il a envie de partage. Autant dans son rôle social la femme doit penser à tout le monde et est dans l'oubli de soi, autant, pour pouvoir s’érotiser, il faut qu’elle puisse arrêter de penser aux autres.
Il ne faut jamais demander à une femme ce qui l’anime, il faut lui demander comment elle s’anime. L’homme peut faire tout ce qu’il veut, si la femme est déconnectée d’elle-même, il ne se passera rien du tout.»
Marion Galy-Ramounot- Le 19 septembre 2019 - Article issu du site LeFigaro.fr
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Michel (vendredi, 28 janvier 2022 13:15)
C'est tout très intéressant et surtout, vrai. Pourquoi créer une séparation entre l'esprit et la matière ?
M.L., Rome, Italie - ( si vous avez envie de me répondre: systemichabitats.it/contact )